Designer ou Dizaïneur ? Que donne le nom de nos métiers en français
“Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde” Albert Camus
J’ai encore du mal à expliquer simplement ma profession à des gens qui ne sont pas du métier. Elle évolue sans cesse. Il en va de même lorsqu’il s’agit de partager mes connaissances ou ma veille. Chaque jour voit naître une nouvelle méthode, un nouvel outil, une nouvelle façon de faire … même s’il ne s’agit que d’une énième variante.
Si, nous, nous sommes confus, imaginons nos clients, nos étudiants.
Beaucoup de bons articles traitent du sujet en anglais. Je profite de cette période particulière (pour la pérennité de l’article : il s’agit du confinement COVID-19, d’avril 2020) pour le faire en français sur la base de mon expérience actuelle et de ma vision des choses. Le souhait de cet article est d’apporter une définition aussi pertinente que possible des métiers du design numérique.
Pour commencer, il me semble important de définir la pratique du design comme la mise en place d’une ou plusieurs méthodologies visant à résoudre des problèmes. Pour cela, nous disposons de techniques, outils, canevas favorisant la recherche de solutions et l’identification d’opportunités.
L’évolution de notre métier nous le montre, le travail du designer ne se limite pas à l’étape purement graphique ou visuelle.
C’est tout le propos de Neri Oxman. Pour ceux qui ne la connaissent pas, vous pouvez voir l’épisode qui lui est consacré de la série Abstract. Sa description du design en tant que cycle est particulièrement intéressante.
Neri Oxman décrit le cycle suivant :
« La science lie l’information à la connaissance. L’ingénierie lie les connaissances à l’utilité. Le design lie l’utilité au comportement culturel et au contexte. L’art absorbe ce comportement culturel et remet en question notre perception du monde. » *
Le blog de vitamintalent a également conçu un canevas autour de l’évaluation des compétences des différents profils qui peuplent nos réseaux. Cette approche m’intéresse car elle illustre les différentes compétences qui caractérisent notre métier et ses déclinaisons : la recherche, l’architecture de l’information, le design visuel, etc. C’est une bonne première vision.
Bien, cela pose certaines bases. Passons désormais à ma version des faits ;-). Notons que j’appuie les définitions suivantes sur la base d’une documentation disponible en fin d’article, de mon expérience et d’échanges avec mes pairs.
Customer Experience designer, CX designer ou designer de l’expérience client
L’expérience client concerne l’ensemble des interactions d’un client avec un produit, un service, une marque ou une entreprise. Le designer se focalise donc sur la relation entre le client et la marque en terme d’interaction, que le media soit numérique, physique ou même spatial. Son périmètre d’action est large : amélioration des performances d’un service client, de la distribution des produits, de l’expérience même du produit ou service par l’usager, de la conception du produit ou service (en relation avec les services concernés)… et se retrouve au centre de la stratégie, du marketing, de la production et du SAV. Il intervient sur l’optimisation de l’écosystème de la marque. Sa vision transverse le rapproche du designer de service, avec une spécialisation dans le domaine marchand.
Designer de service
En premier lieu, un service est quelque chose que j’utilise mais dont je ne suis pas propriétaire.
On voit ce terme fleurir un peu partout ces derniers temps, ce qui nourrit la confusion : un d’expérience d’utilisateur est-il un designer de service ? Un designer produit est-il un designer de service ? La réponse est oui si, et seulement si, le designer de l’expérience utilisateur ou le designer de produit interviennent sur l’ensemble de l’écosystème du service.
Le designer de service ne se focalise pas seulement sur un point de contact mais sur toutes les relations de ce point de contact avec les autres points de contacts, qu’ils soient côté usager ou côté organisation : cela implique donc non seulement l’identification des problèmes d’utilisabilité du service par ses usagers, que des problèmes de performance, d’organisation et de stratégie du côté de l’entité qui propose le service. Cela peut également intégrer l’amélioration des relations avec les entités tierces (partenaires, prestataires, donneurs d’ordre…).
“La conception de service chorégraphie les processus, les technologies et les interactions au sein de systèmes complexes afin de co-créer de la valeur pour les parties prenantes concernées. “ Birgit Mager
On parle ainsi de scène-avant (orientée utilisateur final) et de scène-arrière (celle du fonctionnement de l’organisation) pour lesquelles le designer de service est le maître d’œuvre.
UX designer, ou designer d’expérience utilisateur
Créé par Don Norman, ce terme signifiait à l’origine l’ensemble de l’expérience en ligne et hors ligne avec une entreprise, un service, un produit. Aujourd’hui, ce terme tend à se limiter aux seuls designers numériques (en France mais également à l’étranger) alors que ce n’est pas toujours le cas. Bien au contraire.
Mais qu’appelle-t-on expérience, ce mot que l’on entend sans cesse ?
“L’expérience utilisateur” englobe tous les aspects de l’interaction de l’utilisateur final avec l’entreprise, ses services et ses produits.” (Don Norman, 90’s)
Plus simplement, l’expérience est la somme des émotions vécues individuellement, avant, pendant et après l’interaction avec le service, et peut être influencée par différents paramètres extérieurs (ex. : une expérience vécue en groupe). Cette expérience variera d’un utilisateur à l’autre en fonction de ses caractéristiques (connaissances, culture, aptitude…).
Le designer d’expérience utilisateur a donc pour mission
- d’identifier les caractéristiques de l’expérience vécue par les cibles d’un produit, service ou système;
- d’en identifier les frictions, les blocages ou les problèmes ;
- d’ imaginer collaborativement les solutions qui, demain, seront mises en œuvre dans la nouvelle version du produit, du service ou du système.
En bref, son rôle est d’en améliorer l’usage, fonctionnellement, émotionnellement, cognitivement.
Pour cela, le designer d’expérience utilisateur intervient à différents moment :
- durant une phase de recherche utilisateur (qu’il emprunte ou réalise conjointement avec son homologue, l’UX Researcher) : il identifie les groupes d’utilisateurs, les tâches à accomplir, leurs objectifs, leurs frustrations… Empruntant aux méthodes d’enquêtes des ethnologues, anthropologues, psychologues comportementalistes etc. la phase de recherche s’articule autour du recueil de données qualitatives et quantitatives : ces deux natures de données sont complémentaires et nécessaires. En somme, cette phase lui permettra de définir l’univers dans lequel il met les pieds.
- Puis vient une phase d’idéation (ou de génération d’idées), dont le but est simple : lorsque l’on a les deux pieds dedans, on peut facilement partir dans toutes les directions. Cette phase vise à partir dans toutes les directions et surtout à ne pas choisir une seule direction.
- Vient ensuite la phase où l’on va commencer à tracer une voie, ce qui permettra d’esquisser des solutions, de leur donner vie, de les matérialiser pour en faire un prototype.
- Ce prototype permettra d’être testé : pour valider ou invalider la direction choisie et d’en prendre une nouvelle le cas échéant.
- Une fois acquis la certitude d’aller dans la bonne direction, il s’agira d’habiller tout cela et de donner réellement vie au produit, au service ou au système (en étroite collaboration avec un designer d’interface, un designer d’interaction, un designer produit, un designer textile, d’espace, un urbaniste etc.)
UX Researcher, chercheur UX ou chercheur en expérience utilisateur
Comme son nom l’indique, le chercheur UX planifie, organise et réalise tout ou partie de la phase de recherche préalable à celle de conception. Il peut également intervenir en cours de projet durant les étapes d’évaluation (tests utilisateurs et autres tests de perception…).
Son rôle est d’observer les utilisateurs, d’échanger avec eux lors d’interviews, de mettre en place des enquêtes en ligne ou encore d’analyser ce que l’organisation possède de connaissances sur les usages de ses clients/utilisateurs.
On attendra de lui sa capacité d’analyse, de synthèse et de restitution des résultats de l’étude menée afin de guider la conception vers les bonnes solutions.
Les spécialistes de la recherche utilisateurs ont souvent suivi des formations issues des sciences humaines ou sociales, mêlant la psychologie et des sciences cognitives.
User Interface designer, UI designer ou designer d’interface / Interaction designer ou designer d’interaction
Oupsie, on me tapera peut-être sur les doigts à fusionner deux intitulés de poste sans préambule.
Néanmoins : les designers d’interface utilisateur fabriquent des maquettes graphiques, peuplées de couleurs, de typographie(s), de rythme et d’interactions. Cette discipline les amène souvent jusqu’à la réalisation d’un prototype interactif, en vue d’être soumis à des tests utilisateurs.
Lorsque l’on parle de prototype, on en distingue deux sortes :
- la version basse fidélité permettant de valider les parcours, la compréhension et l’intérêt des fonctionnalités, la clarté du contenu
- Et la version haute définition qui peut intégrer le design visuel et les animations et autres transitions animées.
Leur objectif est d’améliorer l’expérience visuelle et interactive et d’enrichir émotionnellement l’expérience utilisateur.
Leur “botte secrète” est d’intégrer un certains nombres de paramètres techniques contextuels (modalités d’adaptation en fonction des dispositifs d’affichage, tailles d’écrans, espace à remplir**, etc.) ou situationnels (utilisateur porteur d’un handicap temporaire ou permanent, culture et langage…).
Ils sont également un pont non négligeable avec les équipes techniques.
Product design ou designer de produits
Voilà un vrai-faux nouveau métier. Nous aurions tort d’associer les designers produits au seul numérique (d’ailleurs, il suffit de demander ce que ce terme évoque à vos parents ou tout autre personne étrangère au numérique). Rectifions donc : les designers de produits numériques sont des designers spécialisés dans la conception et la réalisation de produits numériques. Ils maîtrisent ainsi, probablement mieux que leurs homologues UX designers ou UI designers, les problématiques liés au développement et à la vie d’un produit.
S’ils leur contexte et leur environnement de travail peut être différent des autres designers sus-nommés, leurs compétences, méthodes et méthodologies sont similaires.
En essayant de retracer les différentes voies du design sur ce schéma, mes recherches sur le sujet me confirment chaque jour un peu plus que le nom importe peu : Parlons de compétences et non d’un énième nom à la mode.
En guise de conclusion, ce qui me semble important c’est avant tout de savoir pourquoi nous faisons ce métier, quelles responsabilités nous avons et quels sont réellement nos champs d’action. Oui, les contextes d’usage sont de plus en plus variés, mais avant de nous jeter sur un nom, une étiquette, réfléchissons avant tout à ce que nous faisons, comment nous le faisons et pourquoi nous le faisons. Nous ne sommes pas une succession de slash sur un titre Linkedin, et nous ne valons pas grands choses à enfoncer des portes ouvertes en multipliant des postes sans fond, nous sommes ce que nous faisons tous les jours, avec application et humilité. Il est question de responsabilité :
A designer is a gatekeeper pour citer Mike monteiro (Ou en français comme c’est l’objet de cet article : Un designer est un gardien).
“You are responsible for the work you put in the world. We have limited resources, whether natural, financial, or cognitive. Don’t contribute to people wasting them on crap.”
Cette phrase est devenue mon leitmotiv : “Nous sommes responsables de nos contributions au monde. Nous avons des ressources limitées, qu’elles soient naturelles, financières ou cognitives. Ne participons pas au gaspillage de ces dernières pour des conneries.”
Ce sujet d’article est né de mes récents échanges avec mes étudiants. Merci à eux d’être une source inépuisable d’inspiration. Un grand merci à Nicolas et Karim pour les relectures, les nombreux et bons conseils.
* Ceci n’est pas une traduction exacte mais comment je l’interprète.
** ici on parle bien d’empty states
Sources :
The Definition of User Experience (UX)
Ux designer VS ergonome & autres balivernes | Le bloc-notes, UX & Design d’expérience utilisateur